Née à Minsk, dans l’actuelle Biélorussie, Alexandra Catiere a appris la photographie à Moscou avant de partir faire ses armes aux Etats-Unis. Après son passage à l’International Center of Photography et au studio d’Irving Penn, elle s’établit en France en 2008. Là, elle participe à une résidence au centre d’art de GwinZegal à Guingamp avant de remporter la première édition de la résidence BMW au musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône. Débutent alors de nombreuses expositions, notamment aux Rencontres internationales de la photographie d’Arles. Ses photographies, sombres et poétiques, sont désormais rassemblées dans un livre « Nobody believes that I’m alive ». Dans cette série, Alexandra Catiere invoque tout à la fois la sphère spirituelle, l’immortalité de l’âme et l’absence physique des personnes disparues. Le format, , de ses photographies force l’oeil à se concentrer, à fouiller les recoins et dénicher les secrets. Cette photographe, qui nie toute recherche de style, a pourtant une signature qui lui est propre : ses clichés sont comme de longs silences qui nous laissent l’illusion d’être à mi-chemin entre le rêve et le cauchemar. 

On ressent beaucoup de tristesse dans vos photographies. Est-ce volontaire ?

Mais la vie est triste ! Notre présence sur cette terre n’est pas nécessairement joyeuse même si on recherche la joie tout le temps. L’enfant nait dans la douleur et par douleur on accède à l’amour. On ne peut pas apprécier la joie si on n’a pas vécu la tristesse, ce sont deux notions qui marchent côte à côte. Quand on perd quelqu’un, on ressent d’abord un sentiment de vide, le sentiment d’être devant un précipice. Le défi c’est de trouver le bonheur de vivre avec l’esprit de cette personne même si elle est physiquement absente. Cela demande des efforts mais si on y arrive, on acquiert une force incroyable. Mon expérience a été une révélation.

Est-ce pour cela que, dans plusieurs de vos photographies, les visages sont cachés ? 

Dans chaque image, il y a un symbole. Pour moi la photographie n’est pas dans la représentation de la réalité, ce n’est pas illustration de mon expérience. C’est comme le poète qui, avec la combinaison des mots qu’on utilise tous les jours, arrive à aller au-delà de ce qu’on vit et de ce qu’on voit. Et pour moi c’est cela le but de la photographie : trouver des nouvelles formes pour parvenir à sortir de la réalité et rappler a l`homme que c`est un être avant tout spirituel, qui fait partie d`un esprit infiniment plus grand, auquel, en fin de compte, il retourne. 

Le titre de votre série est assez marquant (« Personne ne croit que je suis vivant » ), est-ce le reflet d’une peur, ou un cri de colère ?

Ni l’un ni l’autre, c’est plutôt un constat. Avec nos doutes, nos ignorances, notre athéisme, notre rationalisme. On pense que la mort, c’est la fin. Mais ce n’est pas la fin, c’est la naissance ! C’est une transformation de la nature humaine dans une autre substance. On sort de ce temps et on va ailleurs.

Vous travaillez beaucoup sur les corps, mais aussi sur les matières. D’autres photographes avant vous l’ont fait, vous êtes-vous inspirée du travail de l’un d’entre eux en particulier ?

Il y a des photographes qui me touchent : Mario Giacomelli, Anders Petersen, par exemple. Ou encore Robert Frank, dont les travaux d’expérimentation me plaisent parce qu’il y a une vraie recherche visuelle. Dans la photographie japonaise, j’aime beaucoup Masahisa Fukase. Il y a aussi Alexandre Rodtchenko, photographe russe, dont la démarche photographique était de chercher de nouvelles formes pour les images. Et puis il y a ceux comme Atget qui était juste fidèle à lui-même, hors du temps. 

C’est très important d’être soi-même, authentique. Cela semble très simple, mais en vérité ça ne l’est pas. On est comme un éponge, on absorbe tout et dans toute cette information on oublie qui on est. Il y a toujours un mariage entre la nature des matières avec lesquelles on travaille et sa propre nature. Le but de la création, c’est que ce mariage donne naissance à quelque chose qui prenne vie et parle aux autres.

Vous photographiez également beaucoup de natures mortes, d’objets inertes, de temps morts, de silences, autant de thématiques chères au romantisme. Faut-il y voir la marque d’une certaine nostalgie ?

Les sujets qui m’intéressent sont les sujets universels : le temporalité de l’homme, sa fragilité, le cycle de la vie, notre rapport à la nature. Je m`intéresse comment les choses vieillir. La pratique photographique est très liée au présent. Quand je photographe j`essaye  de me plonger dans la présence. Le passe et l`avenir n`existent pas . C`est le temps de Kairos, d`apres l`Antiquite. 

Vous tenez à faire vous-même vos tirages. En quoi est-ce une étape importante dans le processus artistique ? Pourquoi cet attachement à l’argentique ?

Je ne suis jamais seule dans le labo, je travaille toujours avec la matière : il y a la chimie, le papier, le film. Il existe une collaboration entre la matière et moi, et elle très importante pour ma pratique.

Je trouve que les tirages argentiques ont une autre profondeur, une autre vibration que les impressions par jets d’encre. Le photo même devient un objet, ce n’est plus juste une représentation.

Vous avez été lauréate de deux résidences (GwinZegal et BMW), que vous ont-elles apporté en tant qu’artiste ?

Une résidence est une sorte de passeport, elle ouvre les portes. Elle permet d’avoir un autre accès aux gens, aux endroits (fermes, usines, prisons…). En plus ca ramènes les nouvelles rencontres. 

J`avait la chance de rencontrer les gens magnifique au cours de ces expériences. Cette collaborations était nourrissant et prolifique. 

De quelle manière photographiez-vous ? Y a t-il une mise en scène dans vos images ou laissez-vous parlez la spontanéité ?

Il n’y a pas de règle en photographie. Je peut photographier avec l`appareils de la chambre or mon telephone, dans la rue or dans la studio. Apres,  chaque image demande ses propres tirage, cadrage, contrastes. Je ne cherche pas le style.

 Je cherche l`image juste, quelque chose de familier et d’intemporel. Tout dépend de la sujet et du moment. Par exemple, l’image des enfants qui jouent dans la rivière. C’était en hiver, au début de mars, une journée chaude. J’étais en voiture, je revenais d’un rendez-vous avec une famille où j’avais fait des portraits posés. Tout à coup, je voit les enfants déshabillés et dans la rivière. Je me suis arrêtée pour les photographier. C`est magie de la vie.