ORDONATRICE DE LA LUMIERE ET DU MYSTERE DE LA CHAMBRE NOIRE

Par ANTE GLIBOTA

Fiat lux et facta est lux, sont parmi les mots les plus significatifs de la Genèse, qui caractérisent l’ordre et le principe, la lumière face aux ténèbres. Et cette question essentielle m’est immédiatement venue à l’esprit en découvrant les créations photographiques de l’artiste Alexandra Catière que j’ai rencontrée dans le musée dédié au créateur de la photographie, Nicéphore-Niépce, à Chalon-sur-Saône, lors d’une rétrospective consacré par ce musée à mon ami Peter Knapp il y a quelques années déjà.

Dédiant son travail quasiment au noir et blanc, celle que l’on peut qualifier de vrai de vrai photographe, cette talentueuse artiste, a trouvé refuge dans l’impulsion et la perplexité du présent. Ses photos sont intimement liées à ce désir d’urgence qu’impose la chambre noire, avec parfois une accélération ou un prolongement, dans l’attente du verdict instinctif de l’artiste créateur. Le temps de cette chambre noire, qui chez l’artiste revêt une notion mythologique, semble insufflé de croyances en l’influence stellaire, inventant des règles et représentant tout à la fois les techniques du savoir-faire, la possession maîtrisée de la nature, selon ses propres règles, dans ses propres reflets, qui font resurgir devant nous à la fois la lumière et les ténèbres, l’acte de création, la photographie. 

L’artiste d’origine biélorusse montre ces deux flux, l’un extérieur existant par lui-même et l’objectif de nature corpusculaire, puis le rayon émis par l’œil attentif, parfois tendre, pour mettre en scène une tête pensante aux douloureuses énigmes cachées, la joie de vivre d’un garçon au corps élancé, baignant dans le contre-jour d’une tente de camping (Children in Tent), une vague qui reflète un entrecroisement ou une fine ligne s’échouant sur le sable d’une plage, une végétation luxuriante dans la grâce de la lumière ou une forêt noircie et dense dans la nuit de silence. La poésie imprègne tout de  son effervescence. Dans chacune de ces photos, on peut imaginer l’artiste suspendue au temps, dans la préparation du mystère de la chambre noire, transcendances créatives pour rendre une émotion simple, émouvante, l’objet d’une recherche autonome, forte, dont les vibrations se transmettront aux spectateurs de ces créations. 

Chaque photo de l’artiste est une véritable invitation à la méditation !                                                                                      

Rendre la vie à la fois triste et joyeuse, mélancolique et dérisoire, sans le snobisme qui est devenu un signe des temps de la photographie contemporaine. Alexandra Catière nous rassure par son authenticité, par son sens et son approche artisanale de la photographie, contrôlant le flux, les temps, la sensibilité visuelle, proposant ses propres tirages où le graphisme domine, mais qui sont aussi des interrogations, rendant ainsi à son art un pouvoir absolument redoutable, avec une authenticité insoupçonnable.

Elle n’est pas étrangère à l’expérimentation où la lumière est devenue l’un des moyens d’expression fondamentale, l’accent s’appuie sur la force de conviction, la pertinence, la réflexion, puis quand il s’agit d’êtres humains pris sous son objectif, ils apparaissent aussi avec une flamme intériorisée, une vraie âme slave, qui partage jubilation et tristesse au même moment.

La solitude de ses portraits est caractéristique, puisqu’on découvre dans chacune de ces photos une invitation à méditer les tréfonds de l’âme. Leur force existentielle, leur regard souvent absent, l’air triste, distant, comme pour nous dire qu’ils ne souhaitent pas laisser une trace de leur passage terrestre, sont tirés par l’artiste dans un certain sfumato hivernal photographique, noirci, les personnages sont pris à travers les vitres d’un bus ou d’une voiture, détaillant la poussière ou les gouttes d’eaux en surface, le gel présent sur les visages et l’environnement et reflétant l’expressivité, renforçant notre détermination de spectateurs à nous interroger. Soudain, par une sensibilité raffinée, les gouttes de pluies sur le pare-brise sont devenues des larmes humaines (série des photos Behind the Glass). Elle transforme leurs visages en une sorte d’icônes. Plus de place pour l’indifférence! 

Chacun des personnages photographiés par Alexandra Catière, témoigne de son amour pour le genre humain, mais aussi pour la nature, dévoilant leurs beautés insoupçonnées, même quand ils sont à peine visibles, comme City at Night, ce paysage de nuit où la lumière difficilement visible au loin partage la terre et le ciel à parts égales. La ligne d’horizon entrecroisant l’arbre aligné et la lumière de la ville, s’intègrent en une vision presque métaphysique qui offre au regard de multiple perspectives.

L’arbre est souvent un objet visible dans les photos d’Alexandra Catière. N’est-il pas investi dans sa qualité symbolique, du rôle d’intermédiaire entre le ciel et la terre, et pourquoi pas entre les hommes et leurs divinités. Or ces beaux troncs noirs dans la superbe des arbres dépouillés de leurs feuillages, (Trees at Night), mystérieux et surréels au sortir du brouillard de la nuit, sont soulignés par un effet gris plus lumineux, permettant de distinguer le tronc de l’arbre des branchages mêlés, enrichis de nids d’oiseaux vidés de leurs locataires pendant le règne hivernal. Tout devient évident dans la diapositive créative d’Alexandra Catière. L’artiste crée une vision optique et poétique avec des fonds dévoilant toute la complexité de la nature, la menace de la nuit dont la complicité des arbres est soulignée par une tonalité de valeurs faisant partie de la mise en scène mentale.Dans le même registre, nous situons aussi ce portrait d’une jeune femme dont le visage est caché, imperceptible, et qui ne reste défini en exergue que par le contour de sa chevelure qui rend l’énigme perceptible et invite à découvrir sans délai la face cachée de ce personnage aux nuances de noir.

Parlons précisément de ces tonalités qui sont une histoire en soi chez Alexandra Catière. La richesse tonale est fabuleuse en mi- teintes de gris et toute une panoplie de noirs à l’infini, elle est vibrante et provoque une pulsation d’autant plus grande par la simplicité des compositions mais aussi par ce degré de symphonie tonale, tout en demeurant dans le duel habituel du noir et blanc! 

Quand on parle de sfumato, il s’applique, bien sûr, à la tonalité picturale en peinture, et par ses tirages, Alexandra Catière donne vraiment l’impression que l’on se trouve parfois devant une toile et pas nécessairement devant une photographie, tant la richesse tonale est présente et entrecroisée en un minimum de moyens, retrouvant toute la fluidité et la pertinence créative. River in the morning ou Brooklyn in Snow sont également une belle illustration de ces réussites qui font vibrer les âmes sensibles, images qui ne se renouvellent ni ne s’effacent dans une rêverie illimitée.

La photographe biélorusse excelle dans ce minimalisme photographique que Mies Van der Rohe, grand architecte et dernier directeur du Bauhaus, a élevé au niveau d’un culte, paraphrasant Saint-Tomas d’Aquin en disant  less is more, moins est plus.

Elle se sent à l’aise dans son univers créatif, avec un graphisme dirigé qui prend part à ses expériences dans le domaine de ses photogrammes. 

Visiblement, certaines de ses interprétations et certains de ses travaux expérimentaux s’acheminent vers une pure abstraction, vers une idée de la photographie selon l’œil mental, imperceptible du réel, déployée entre transcendance et empirisme, et exprimée par ses photogrammes. Cette nouvelle voie conduit l’artiste à une extension du concept de conscience, là où la caméra n’entrevoit pas. Mais simplement une superposition de papier photographique et de forme végétale facilement maniable ou une composition dont l’artiste modifie le sujet mis directement sur la matière vers une nouvelle réalité. Certains de ces graphismes sont évocateurs ou appellent une lecture multiple, sans que l’artiste ne leur donne une désignation. 

Les démarches sont vigoureuses, claires et séduisantes, et un texte futur, un essai plus conséquent dans une analyse plus fouillée, pourra apporter davantage de précisions sur l’enjeu de ce travail. Les photogrammes d’Alexandra Catière incorporent une partie sensible, comme son actualisation, et émergeraient ainsi telle une nouvelle forme d’agir, déployant aussi techniquement les pulsations internes en une forme d’externalisation de la volonté de recomposition des formes, pour élaborer plus précisément, à travers ces nouveaux moyens graphiques qui lui sont propres, une nouvelle frontière à franchir.

Paris, jour de la Saint Clément, 23 Novembre 2018.