Jérôme Sother , Alexandra Catière, À haute voix
Jérôme Sother , Alexandra Catière, À haute voix
Et il faut bien que se créent les abîmes pour que s’y engouffrent les vives forces de vérité.
L’eau ne coule jamais que là où se lézarde la terre.
Les yeux fermés, elle nous regarde. On l’écoute.
Le silence des images d’Alexandra.
Quels mots veut-elle nous souffler, sont-ils faits du même vent qui balaie les paysages ? Du même oxygène exhalé par les plantes ?
Paupières ouvertes ou fermées, ces visages que nous contemplons, nous regardent autant que nous les regardons. Alexandra Catière les a croisés dans des fêtes de village, dans des studios improvisés en Bretagne, loin des visages des acteurs de Griffith ou des gros plans expressionnistes du cinéma muet d’avant-garde d’Eisenstein. Les rides, les plis, les aspérités, le brillant de nos yeux sont autant de détails qui constituent simultanément l’interface de nos relations sociales et les strates de notre identité. Beauté et mélancolie se côtoient. Se succèdent des visages humbles et dignes dans un silence que seul, le fracas d’un rire pourrait briser.
Dire de photographies qu’elles contiennent une promesse d’intemporalité tient du commentaire exténué de sens, et pourtant, ces visages, ces paysages, ces quelques natures mortes d’Alexandra Catière semblent définitivement imperméables aux subterfuges de la modernité et à son empire gagné sur le monde. L’horloge abîmée du progrès laisse place à une horloge charnelle et intime au rythme capricieux, matière et mémoire.
Les traits du visage d’Alexandra s’animent entre le mystère et le rire, dans l’ambiguïté d’une vie et d’une identité anachronique, asynchrone, empreinte de l’enfance à Minsk, de la fuite à New York, de la vie quotidienne à Paris. Les scènes qu’elle photographie, les compositions et les objets les plus simples revêtent les apparats du sacré et semblent obéir à la grammaire d’une liturgie mystérieuse. Une simple chaise ou des pétales de fleurs sous une pluie fine veulent nous dire autre chose que ce qu’ils sont. Le regard se fait soudain méditatif. Comme si Alexandra voulait nous encourager à tendre l’oreille à la poétique fragile du monde, au bruit de l’eau, au rire qui roule vers la mer − et cultiver enfin une énergie nouvelle et salutaire dans nos rapports tourmentés au vivant, à nous-mêmes et aux autres.